Client vs Prestataire : le malentendu digital

1. Une collaboration de bonne foi, mais semée d’incompréhensions

Dans la plupart des projets web structurants (plateformes métier, applications web, portails utilisateurs), les entreprises choisissent encore majoritairement le modèle au forfait, appuyé par un cahier des charges contractualisé. Ce modèle a ses avantages : budget maîtrisé, engagements de délai, vision projet cadrée.

Mais sur le terrain, les chefs de projet ou Product Owners côté client constatent souvent une réalité plus nuancée. Même lorsque les relations sont saines et les intentions claires de part et d’autre, des incompréhensions apparaissent. Des tensions s’installent. Et, dans certains cas, la relation projet se fragilise.

2. Le point de départ du malentendu : le cadrage initial

L’origine des frictions ne tient pas toujours à un manque de rigueur ou de compétence. Elle tient au fait que le cahier des charges n’est jamais parfaitement exhaustif. Ce n’est pas une faute. C’est une limite structurelle du modèle.

Un projet de plateforme web, même bien cadré en phase de conception, reste :

une projection théorique de besoins parfois mouvants,
une interprétation des usages futurs,
une anticipation de logiques métiers qui se clarifient souvent au fil du développement.

Le prestataire, lui, base son chiffrage sur une lecture technique du périmètre. Il cherche à encadrer les risques, optimiser les charges, et livrer un produit viable dans les temps.

Mais cette lecture, même sincère, peut diverger subtilement de celle du PO ou du chef de projet côté client.

3. In scope / hors scope : le cœur des tensions silencieuses

C’est souvent à la première livraison partielle que les divergences apparaissent. Un écran attendu est moins complet que prévu. Une logique métier semble absente. Un scénario utilisateur a été simplifié. Et le prestataire répond, de manière tout à fait légitime : « Ce n’était pas prévu dans le périmètre initial. »

De l’extérieur, cela peut sembler anecdotique. En pratique, c’est l’un des plus puissants générateurs de frustration dans les projets digitaux :

Côté client : sentiment que le prestataire « coupe dans le périmètre ».
Côté prestataire : impression que le client tente d’étendre le scope sans le reconnaître.

Et chacun a ses arguments. Chacun peut démontrer, capture d’écran ou extrait de spécification à l’appui, que son interprétation est fondée.

4. Le vrai problème : l’absence d’un dispositif de gestion du flou

Ce n’est pas le désaccord qui pose problème. C’est le fait que le contrat ou le mode de collaboration ne prévoit pas de mécanisme simple pour gérer les zones grises.

Dans un modèle au forfait rigide :

toute évolution nécessite un avenant,
toute précision post-cadrage devient un sujet de tension,
la relation se crispe autour de la défense des engagements plutôt que sur la réussite commune.

Le chef de projet digital ou le PO, au centre de ce dispositif, doit arbitrer sans avoir tous les leviers. Il devient médiateur entre des équipes métiers qui expriment leurs attentes réelles et un prestataire qui rappelle les engagements contractuels.

5. Quelques pistes pour limiter ces frictions

Formaliser les zones d’incertitude dès le départ

Plutôt que de chercher à tout figer, il est souvent plus efficace d’identifier ensemble les points à clarifier au fil du projet. Cela peut faire l’objet d’un registre des hypothèses ou d’un backlog secondaire, à prioriser selon les marges disponibles.

Prévoir une enveloppe d’ajustement

Certains projets intègrent dès le lancement un volume horaire ou budgétaire destiné à absorber les écarts raisonnables. Cela permet d’éviter l’effet bloquant de l’avenant systématique pour chaque détail non spécifié.

Co-construire la compréhension du périmètre au fil de l’eau

La logique itérative (en mode agile ou hybride) permet de valider au fur et à mesure les fonctions livrées. Ce n’est pas une garantie contre les écarts, mais un moyen de réduire le délai entre la conception théorique et le feedback réel.

S’appuyer sur un comité de pilotage mixte et régulier

Ce comité ne doit pas être purement formel. Il doit permettre de :

prendre des décisions rapides sur des points d’interprétation,
ajuster le planning ou le périmètre si nécessaire,
maintenir un climat de confiance sur la durée du projet.

6. Le rôle essentiel du PO ou chef de projet dans cette mécanique

Lorsque le dispositif est bien pensé, le PO devient un acteur de fluidité, et non un tampon de tensions. Mais cela suppose :

qu’il ait été impliqué dès le cadrage initial,
qu’il dispose d’un mandat clair pour trancher ou escalader,
qu’il puisse s’appuyer sur une documentation vivante et partagée.

Dans le cas contraire, il se retrouve à justifier des décisions qu’il n’a pas prises, ou à défendre des demandes métiers sans marge de manœuvre budgétaire.

Viser une collaboration durable plutôt qu’un contrat parfait

Un projet de plateforme web ou d’application n’est jamais un simple acte de livraison. C’est un processus de compréhension mutuelle, de construction partagée et de réajustement progressif. La bonne foi ne suffit pas : elle doit être soutenue par une organisation projet intelligente, souple et équilibrée.

Donner au PO ou au chef de projet les bons outils, les bons relais, et la reconnaissance de cette complexité est un levier majeur de réussite, bien au-delà des spécifications initiales.